C₿C #9 : la Première Guerre Mondiale, une guerre monétaire
Mais où l'argent magique n'existe pas...
Introduction pour ceux qui nous rejoignent (vous pouvez sauter sinon)
Pour comprendre Bitcoin, il est indispensable de comprendre la fonction et l’histoire de la monnaie.
Pour nous aider sur ce chemin, nous allons suivre les aventures de Francis, un jeune agriculteur fougueux et candide qui souhaite s’installer à Mons-Boubert, dans la Somme (80), pour se rapprocher de sa ferme et de sa nouvelle copine Gisèle. Il a repéré une superbe maison à l’entrée du village. C’est celle de José, un fantasque buraliste aussi cultivé qu’alcoolique.
Francis souhaite acheter la maison de José en petit pois, car il a fait une belle récolte.
Mais la vente s’annonce délicate car José n’est pas spécialement vendeur ni spécialement friand de petits pois…
Les aventures de Francis sont découpées en 3 parties :
Dans la partie 1, Francis a découvert ce que sont les fonctions et les caractéristiques d’une bonne monnaie en voulant acheter la maison de José. Je vous invite à lire les 3 éditions qui composent cette partie (C₿C #1, C₿C #2 et C₿C #3). Vous pouvez retrouver les premières éditions ici.
Dans la partie 2, il va à la rencontre du professeur Javier, un sage retiré du monde et à la connaissance encyclopédique, qui lui explique l’évolution des monnaies à la lumière de l’histoire. Nous sommes actuellement dans cette deuxième partie.
Dans la partie 3, Francis aura la nuit de la révélation et découvrira Bitcoin…
En toute transparence, les 3 parties de cette newsletter sont grandement inspirées du livre The Bitcoin Standard.
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Francis est toujours chez le professeur Javier. Après les histoires des perles Aggri et d’écrêtage de Néron, le Professeur Javier raconte à Francis l’évolution du système monétaire qui régit le monde au fur et à mesure de la mondialisation de ce dernier. La Belle Époque, qui a commencé au lendemain de la guerre franco-prussienne en 1871, fut l’une des périodes les plus fastes que le monde ait connu grâce au système monétaire de l’étalon-or notamment. Malheureusement, le début de la Première Guerre Mondiale mit fin à ce dernier.
Partie 2 : l’histoire des monnaies
Tu peux retrouver l’édition précédente ici (3min de lecture) si tu ne l’as pas lue.
Francis est énervé.
Fan de football depuis sa plus tendre enfance, il est sous le choc. Certains clubs puissants veulent créer une Super League en lieu et place de la fameuse Champions’ League et des championnats domestiques.
Une ligue européenne fermée qui n’a qu’un objectif : gagner toujours plus de biff.
Son football se meurt, et c’est son coeur qui pleure.
Il l’a tellement mauvaise qu’il décide de sortir la Multipla du garage et d’aller rouler.
Conduire le détend.
Il enclenche le starter, allume l’auto-radio, fréquence 92.2, son au max et c’est parti.
Coup de bol, c’est Là où j’irai de Claude Barzotti. L’une de ses chansons préférées.
Ça l’apaise un peu. Ça lui rappelle sa jeunesse et des moments sucrés avec sa Gisèle. Ces instants hors-du-temps, à siroter des cocktails sur la plage de Monaco, 28° degrés, à l’ombre (pour ne pas attraper de coups de soleil, Francis a une peau délicate.)
Malgré cette évasion musicale, il rumine la nouvelle.
Ses pensée l’amènent à ce gros Néron, qui, faute de pouvoir réduire les dépenses de l’Empire Romain, écrêta la monnaie pour payer ses dépenses pharaoniques. Quitter à renier ce qui faisait sa puissance, c’est-à-dire sa monnaie dure, l’aureus.
Là, c’est peu ou prou la même chose. Ces “clubs” puissants sacrifient l’histoire et leur héritage sur l’autel de l’argent facile car incapables de faire face à leurs dépenses et leurs dettes.
Tiens, et pourquoi pas rendre visite au Professeur Javier ? Il devait lui raconter la suite de son histoire et notamment comment les États ont sacrifié un système monétaire idéal et une génération entière afin de financer les dépenses faramineuse d’une guerre inutile.
Direction Grand-Laviers, 120 km/h, moustache au vent.
À peine le temps de terminer la dernière chanson de la playlist soleil & tongs de Nostalgie et d’oublier tout ce toin-toin, le voilà devant la bâtisse du professeur.
“– Bonjour professeur.
– Bien le bonjour Francis. Oh oh tu as petite mine. Cette histoire de foot j’imagine ?
– Oui professeur. Ça me mine le moral. J’ai besoin de me changer les idées et vous allez m’y aider. Toute cette histoire de fric m’a fait penser à notre dernière conversation. Je crois que vous avez encore beaucoup de choses à me raconter…
– Où m’étais-je arrêté Francis ?
– Au moment où les États et les banques tiraient profit de la centralisation de l’or dans les caisses des banques pour prendre en otage le système monétaire de l’étalon-or et imprimer plus de billets de banques qu’elles n’avaient de réserves d’or. Tout ça pour financer l’effort de guerre de la Première Guerre Mondiale, transformant de facto leurs monnaies dures en monnaie (très) faciles.
– Très bien. Effectivement, pour les États, tel était l’inconvénient d’un système basé sur l’étalon-or : pour financer de nouvelles dépenses, les États devaient soit piocher dans leurs trésors, soit lever de nouveaux impôts auprès de leurs citoyens. Augmenter les impôts est toujours impopulaire, surtout pour une guerre qui n’est à première vue qu’un petit conflit armé entre les séparatistes serbes et l’empire austro-hongrois.
– S’ils n’ont pas levé d’impôts, ils ont écrêté leurs monnaies comme ce bon vieux Néron en son temps ?
– Et bien figure toi que les États ont quand même levé des impôts. En France, l’impôt sur le revenu a été voté le 15 juillet 1914, afin de financer les efforts de guerre et la reconstruction de la France.
Mais ce ne fut pas l’option préférée des gouvernements.
Puisqu’ils avaient désormais le pouvoir d’imprimer les billets, les États ont écrêté la monnaie mais à leur manière : en suspendant la convertibilité en or des billets.
Dès lors, impossible d’échanger les billets contre de l’or. Les citoyens étaient obligés de faire confiance aux États et banques pour qu’ils préservent leur valeur.
Cette décision fut prise quelques semaines après le début du conflit : l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, chacun son tour… Ce fut la naissance des monnaies fiat, fiat désignant décret en latin, les monnaies émises et contrôlées en totalité par les États.
– Quelles ont été les conséquences professeur ?
– Majeures, Francis. Les conséquences furent majeures. Aussi longtemps que les États pouvaient imprimer des billets et que ceux-ci étaient acceptés par les citoyens et les pays étrangers, ils pouvaient financer l’effort de guerre en faisant tourner la planche à billet. Ils créaient ce que l’on appelle plus trivialement de l’argent magique, “quoiqu’il en coûte” et peu importe les conséquences…
– Alors qu’auparavant, pour financer leurs efforts de guerre, les États auraient été dans l’obligation de puiser dans le trésor public ou de lever des impôts supplémentaires auprès de leurs populations ?
– Tout à fait. Cela explique la longue période de paix pendant la période de la Belle Époque, car dans le système d’étalon-or, où pour rappel, chaque billet de banque émis est échangeable contre son poids en or, l’émission de nouveaux billets doit être compensée par son équivalent en or dans les réserves de la banque. La guerre est donc très coûteuse sous le régime de l’étalon-or, tellement que les États réfléchissent à deux fois avant de se lancer dans de tels desseins.
– Mais j’imagine qu’il y a un risque pour les États de faire tourner la planche à billets comme ça ?
– Le risque mon cher Francis, c’est l’inflation. Comme tu le sais désormais, lorsque l’on augmente la masse monétaire en circulation, ici les billets, sans une augmentation des richesses en contrepartie, il en résulte de l’inflation, c’est-à-dire une hausse généralisée et continue des prix. Plus il y a de billets, plus il y a de dépenses, plus les prix montent.
Prenons un exemple. L’État décide de donner une subvention de 1 000 francs à chaque citoyen en faisant tourner la planche à billets, c’est-à-dire en imprimant de nouveaux billets sans aucun collatéral. Ces nouveaux billets fraîchement émis vont se retrouver dans les poches des citoyens, qui vont le dépenser pour acheter d’autres biens, comme par exemple une maison. Sauf que tous les citoyens ont reçu ces 1 000 francs, et qu’une bonne partie d’entre eux va aussi profiter de cet argent pour acheter une maison. La demande générale pour les maisons augmente, et donc les prix des maisons aussi. Mais la demande étant proportionnellement plus forte que la hausse du pouvoir d’achat permis par cette subvention de 1 000 francs, le prix des maisons augmente plus vite.
Rapidement, le temps que le marché s’ajuste, le même billet permet d’acheter moins de biens et service : il perd en pouvoir d’achat. Cette inflation vient rogner l’épargne de la population qui détient sa richesse dans cette monnaie. Le ratio stock-à-flux de la monnaie s’effondre (pour rappel de ce qu’est le ratio stock-à-flux, c’est ici.) L’inflation appauvrit donc les détenteurs de cette monnaie et les exproprie de leurs richesses.
– Je crois que je comprends votre point. La guerre se serait terminée plus rapidement si la convertibilité en or n’avait pas été suspendue par les États, car la population d’un des camps, fatiguée des incessants prélèvements pour financer une guerre interminable, aurait refusé un énième impôt supplémentaire.
Or, désormais, avec les monnaies fiat, la guerre pouvait continuer aussi longtemps que tournait la planche à billet, “quoiqu’il en coûte”. Et cela jusqu’à ce que ce “quoiqu’il en coûte”, au départ indolore, provoque une inflation qui exproprie la totalité de la richesse de son peuple et devienne insoutenable ?
– C’est parfaitement juste Francis. Avant leur intervention militaire décisive, les États-Unis soutenaient financièrement les Alliés. Ces derniers pouvaient donc se financer à des conditions avantageuses, et leurs monnaies se déprécièrent moins vite que celles des allemands et de l’empire austro-hongrois. C’est cette perte du pouvoir d’achat de leur monnaie qui précipita leur défaite.
Ainsi, à la fin de la guerre, toutes les monnaies s’étaient dépréciées : de 10 % pour le franc jusqu’à la moitié pour le mark allemand en comparaison de leur valeur au début de la guerre. Ainsi, la vie coûtait deux fois plus chère en Allemagne, et les épargnants allemands avaient perdu la moitié de leur fortune au sortir de la guerre.
– Quelle fut la décision des gouvernements à la fin de la guerre pour remédier à ce problème ? Ils repassèrent sous l’étalon-or ?
– Et bien non. En fait, les gouvernements avaient imprimé trop de billets. S’ils revenaient dans le système d’étalon-or, ils devaient faire face à un dilemme :
Soit réévaluer leur monnaie vis-à-vis de leur stock d’or et de la masse monétaire en circulation. C’est-à-dire à une dévaluation de leur monnaie, un aveu immensément impopulaire. Tes 10 000 € sur ton livret A avant-guerre ne vaudraient plus que 9 000 € pour un français et 5 000 € pour un allemand.
Soit garder les mêmes taux qu’avant la guerre, par exemple 1 franc équivaut à 1 gramme d’or, mais avec le risque que les citoyens viennent échanger leurs billets contre de l’or, monnaie dure par excellence, et que cet or quitte le territoire vers d’autres régions où il serait moins taxé.
Francis, les gouvernements refusèrent ce dilemme. Il était trop difficile d’avouer à leurs citoyens qu’ils avaient fait n’importe quoi avec leurs monnaies.
Ils optèrent plutôt pour le nationalisme monétaire. Désormais, la monnaie serait une décision politique et il reviendrait à l’État de planifier son cours, son émission et le taux d’intérêt au lieu de laisser le marché opérer. C’était officiellement la naissance des monnaies fiat, entièrement contrôlées par les États et sans valeur intrinsèque, si ce n’est celle accordée par l’État et acceptée par les citoyens tant qu’ils ont confiance dans leur gouvernement.
– Quelles furent les conséquences professeur ?
– Je te raconterai ça une prochaine fois, un Si Grand Soleil va commencer et je ne peux pas rater ça ! ”
À retenir :
Les monnaies d’état, aussi appelée monnaie fiat, sont nées pendant la Première Guerre Mondiale.
Afin de financer leurs dépenses de guerre excessives, les États suspendirent la convertibilité des billets en or, transformant leur monnaie dure en monnaie facile. Les monnaies virent leur ratio stock-à-flux s’effondrer.
Désormais, ils leur suffisaient d’imprimer plus de billets pour financer leurs dépenses.
Cela généra une inflation très forte qui rongea les richesses des populations et les paupérisa.
À la fin de la guerre, plutôt que de faire le choix douloureux mais nécessaire de revenir à l’étalon-or, les États choisirent de contrôler l’émission monétaire, son cours et son taux d’intérêt.
La monnaie cessa d’être un bien librement choisi et défini par le marché pour devenir un instrument politique contrôlé par les États.