La Première Guerre Mondiale a mis fin au régime d’étalon-or, dernier vestige d’une monnaie dure. Désormais, le monde entre dans la période de nationalisme monétaire, où l’État gère l’émission monétaire. Avec des conséquences particulières que le professeur Javier va expliquer à Francis.
Partie 2 : l’histoire des monnaies
Un Si Grand Soleil vient de se terminer.
Le professeur Javier se lève de son canap’ et se dirige vers la cuisine pour se faire une petite infu’.
Quand soudain : “ BOOOOOUH !"
Le professeur fait un bond de 3 mètres en arrière. Son coeur tambourine dans sa poitrine.
“Ah t’es con Francis !! Tu m’as fichu une de ces peurs ! Qu’est-ce que tu fous ici ?
– Professeur, vous m’avez captivé avec votre précédente histoire. J’ai envie de connaître la suite. Je ne pouvais pas attendre, alors je me suis caché ici, derrière votre frigidaire, en attendant la fin de votre feuilleton.
– Tu n’as pas mieux à faire ? Comme profiter de Gisèle ? Elle va finir par être jalouse.
– Elle l’est déjà professeur. Mais elle est occupée à regarder Homeland donc j’ai encore une petite heure devant moi. Allez, je vous écoute !
– Estime toi déjà chanceux que je ne te refout’ pas dans ta Multipla criarde.
Bon, au sortir de la Première Guerre Mondiale, comme tu te doutes, les finances des États ne sont pas au top.
Ils se sont lourdement endettés et ont suspendu la convertibilité de leurs billets en or pour financer leurs dépenses de guerre.
Résultat, le système monétaire international est complètement désorganisé par cette suspension de la convertibilité des billets en or.
L’étalon-or est mort.
Il a été remplacé par le nationalisme monétaire et ses monnaies fiat, des monnaies papier entièrement contrôlées par les États et sans valeur intrinsèque puisque non-convertibles en or. La valeur de ces billets est désignée par l’État et acceptée par les citoyens tant qu’ils ont confiance dans leur gouvernement.
Les États ont profité de ce nouveau pouvoir pour imprimer une quantité folle de billets.
Cela soulève deux problématiques majeures :
Que faire de cette masse de nouveaux billets ?
Quelle est la valeur réelle des monnaies non-convertibles en or ?
Cette dernière question est pressante. En attendant, les taux de change entre monnaies, inutiles sous le régime de l’étalon-or puisque chaque monnaie était indirectement de l’or, sont nécessaires pour commercer.
Les taux de change varient quotidiennement, ce qui rajoute un coût, une complexité et une instabilité fâcheuse pour les États.
– Je comprends le problème professeur. J’imagine que la solution pour eux serait de rendre ces nouveaux billets convertibles en or et de revenir sous le régime de l’étalon-or avec des taux de change stables ?
– C’est ce qu’ils souhaitent. Mais ils doivent faire face à un dilemme s’ils reviennent à l’étalon-or :
Garder la parité d’avant-guerre, c’est-à-dire que chaque nouveau billet de banque émis garde la même valeur en or. Sauf que les États ont imprimé BEAUCOUP de nouveaux billets pour financer leurs dépenses de guerre. Aucun n’a assez d’or dans ses caisses pour couvrir toutes les demandes potentielles d’échanges des billets en or en gardant la parité d’avant-guerre.
Établir une nouvelle parité en diminuant la quantité d’or reçue en échange de ce même billet. Par exemple, 100 dollars ne valent plus 100 grammes d’or comme avant la guerre, mais 50 grammes d’or. C’est une dévaluation monétaire. Le risque ? Une révolte populaire. Ce qui est normal après tout, car la valeur réelle des billets de 100 dollars serait égale à celle de 50 dollars d’avant-guerre. Grosso modo, cela revient à dire à la population que la moitié de leur fortune a été spoliée pour financer la guerre.
Dans le système de l’étalon-or, un billet de banque correspond à un poids précis en or déterminé en amont. Voyez le billet ci-dessous 👇
La Grande-Bretagne veut un retour à l’étalon-or le plus vite possible car la livre sterling était la monnaie de référence mondiale avant la guerre.
Elle était considérée “comme de l’or” et acceptée partout dans le monde. La livre sterling est donc utilisée aux 4 coins du monde.
Ce statut particulier de la livre sterling l’oblige à tenter de revenir au système d’étalon-or, mais aux taux d’avant-guerre.
Pourquoi ?
Pour ne pas voir la valeur de la livre sterling s’effondrer.
Pour éviter une ruée vers l’or venant des 4 coins du monde qui ruinerait le pays.
Revenir aux taux d’avant-guerre rend la livre sterling surévaluée : il y a bien plus de livres sterling en circulation que de réserves d’or dans les caisses de la Grande-Bretagne.
Une grande majorité des détenteurs de livres sterling comprend la situation et s’empresse de les convertir en or.
La Grande-Bretagne subit alors une fuite soutenue et continue de son or en-dehors de ses frontières à cause de cette sur-évaluation.
La situation ne peut pas durer.
– Comment a-t-elle réagi ?
– La Grande-Bretagne sollicite alors un sommet international à Gênes avec les grandes puissances mondiales dans le but de rétablir l'ordre monétaire mondial et d’enrayer la fuite de ses réserves d’or.
Ce sommet débouche sur les Accords de Gênes, signés en mai 1922.
Le monde n’entre pas dans un régime d’étalon-or, mais dans un régime d’étalon de change-or.
– Quelle est la différence professeur ?
– La différence est notable. Avec les Accords de Gênes, les nations ont désormais le choix :
mettre en œuvre une convertibilité de leurs monnaies en or, si leurs stocks le permettaient (= étalon-or.)
ou considérer la livre sterling et le dollar américain comme des monnaies de réserve substitutives à l’or.
Désormais, dans ce régime de l’étalon de change-or, le dollar américain et la livre sterling deviennent quelque part de l’or.
Les banques et aux États ne sont plus obligés de détenir de l’or dans leurs réserves pour battre monnaie. Il suffit de détenir des dollars américains et des livres sterling.
Cela augmente fortement la demande pour le dollar américain et la livre sterling. Ces deux monnaies sont désormais recherchées comme collatéral par les banques et les États. Elles ont la même fonction que l’or.
Sauf qu’il est possible pour eux d’en imprimer. Ils peuvent littéralement imprimer de l’or. Ils viennent d’inventer la pierre philosophale chère à Nicolas Flamel et à Voldemort.
La seule condition : qu’elles restent convertibles en or.
– Quel est l’intérêt professeur ?
– Pour la Grande-Bretagne, il est très clair : stocker le surplus de billets imprimés pendant la guerre dans les réserves des banques et des États.
Elle espère ainsi ralentir les échanges de livres sterling en or et stopper la fuite d’or en-dehors de ses frontières.
Mais ce n’est pas suffisant, la livre sterling reste sur-évaluée et l’or continue de fuir le pays.
Alors, ils demandent aux principales économies mondiales, la France, l’Allemagne et les États-Unis, de dévaluer leur monnaie (= imprimer plus de billets qu’ils n’ont de réserves en or). Seuls les États-Unis acceptent.
– Pourquoi professeur ?
– L’Allemagne est en proie à une hyperinflation galopante. La France est en pleine crise du franc et espérait toujours revenir à la parité d’avant-guerre.
Les États-Unis, les grands vainqueurs de la guerre, sont eux en plein boom économique.
Cette politique inflationniste alimente cette croissance économique grâce au crédit. Cerise sur le gâteau, elle répond aussi à la nouvelle demande mondiale pour le dollar américain induite par les Accords de Gênes.
La planche à billets tourne alors à plein régime aux États-Unis. Des bulles se forment sur le marché immobilier et boursier américain.
La banque centrale américaine, la FED, ferme les vannes en 1928, mais l’euphorie continue.
Jusqu’à ce fameux jeudi 24 octobre, aussi appelé “jeudi noir”, pire krach du XXème siècle et qui marque le début de “la Grande Dépression”.
Mais ça, c’est une histoire que je te raconterai la prochaine fois. Allez file et va embrasser ta femme cette fois !”
À retenir :
La période entre 1870 et 1914 a été le plus stable et le plus prospère de l’histoire. La stabilité des taux de change permise par l’étalon-or et le développement de monnaies papier internationales adossées à l’or comme la livre sterling ont favorisé ce développement économique global.
La Première Guerre Mondiale a tué ce système lorsque les États ont suspendu la convertibilité des billets en or afin de financer leurs dépenses de guerre.
Les États sont entrés de facto dans le nationalisme monétaire : les monnaies sont désormais contrôlées politiquement par les États, qui en gèrent l’émission. La monnaie cesse d’être un bien public choisi par le marché et sa valeur dépend de la confiance placée dans le gouvernement et son économie.
Cependant, ce nouveau système où chaque État émet sa monnaie est instable. Les monnaies voient leurs valeurs fluctuer. Cela complique le commerce international.
Les Accords de Gênes sont signés en 1922 afin de résoudre ce problème et de redonner une stabilité à l’ordre monétaire international.
On entre désormais dans le système d’étalon de change-or : les monnaies qui le peuvent doivent autoriser leur convertibilité en or ; les autres peuvent utiliser la livre sterling ou le dollar américain comme réserves substitutives.
La livre sterling et le dollar ont alors un énorme privilège : ils deviennent officiellement une monnaie de réserve et remplissent la même fonction que l’or pour les banques et États étrangers.
Sauf qu’ils peuvent en imprimer comme ils veulent. Oui, ils peuvent imprimer de l’or.
Les États-Unis, portés par un boom économique dans les années 1920 et le nouveau pouvoir offert au dollar via les Accords de Gênes, en profitent pour arroser la planète de dollars, peu importe ses réserves d’or. Cet afflux massif de monnaie entraîne la formation d’une bulle immobilière et boursière qui explose le jeudi 24 octobre 1929.
Ce krach boursier fait entrer le monde dans la période de “la Grande Dépression”, dont les effets néfastes, accentués par les réponses des gouvernements, conduiront à une nouvelle guerre mondiale.
Mais ça, c’est le sujet de la prochaine édition.
Comme d’habitude, n’hésitez pas si vous avez des questions.
C’est ₿on ça 🤙
Jean