C₿C #4 : Les perles Aggri
Partie 2 : Professeur Chavier raconte à Francis cette tragique histoire...
Introduction pour ceux qui nous rejoignent
Pour comprendre Bitcoin, il est indispensable de comprendre la fonction et l’histoire de la monnaie.
Pour nous aider sur ce chemin, nous allons suivre les aventures de Francis, un jeune agriculteur fougueux et candide qui souhaite s’installer à Mons-Boubert, dans la Somme (80), pour se rapprocher de sa ferme et de sa nouvelle copine Gisèle. Il a repéré une superbe maison à l’entrée du village. C’est celle de José, un fantasque buraliste aussi cultivé qu’alcoolique.
Francis souhaite acheter la maison de José en petit pois, car il a fait une belle récolte.
Mais la vente s’annonce délicate car José n’est pas spécialement vendeur ni spécialement friand de petits pois…
Les aventures de Francis seront découpées en 3 parties :
Dans la partie 1, Francis va découvrir ce qu’est la monnaie, ses fonctions et les caractéristiques d’une bonne monnaie en voulant acheter la maison de José.
Dans la partie 2, il ira à la rencontre du professeur Javier, un sage retiré du monde et à la connaissance encyclopédique, qui lui expliquera l’évolution des monnaies à la lumière de l’histoire.
Dans la partie 3, Francis aura la nuit de la révélation et découvrira Bitcoin…
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Question du public
Pas de question des abonnés suite à l’édition d’hier.
Tant mieux si c’était clair, j’espère que vous avez bien compris.
Next 👊
Dans l’incipit, Francis a essayé d’acheter la maison de José avec sa récolte de petits pois. Mais il se voit opposer une fin de non-recevoir. Nous en avons profité pour définir ensemble les caractéristiques d’une bonne monnaie (petit récap ici, à la fin de l’article) et de ses fonctions. Il se rend alors chez le sage Javier afin de comprendre pourquoi et d’en apprendre plus sur l’histoire monétaire
Partie 2 : l’histoire des monnaies
La rencontre avec le professeur Javier ne manque pas de sel.
Celui-ci accueille notre ami Francis avec toute la bienveillance du monde. Rares sont ceux qui veulent bien l’écouter, alors il est tout en joie.
Francis lui raconte toute l’histoire : Gisèle, sa bonne récolte de petits pois, ses projets d’emménagement, José… et son refus d’accepter les petits pois comme monnaie d’échange pour sa maison.
Francis finit par lui poser la question qui lui brûle les lèvres depuis son arrivée.
“ Professeur, José ne veut pas de mes petits pois. Je ne comprends pas pourquoi. Je respecte un cahier des charges hyper-strict : bio, pas d’OGM, pas de pesticides, local, récoltés à la main, élevés en plein air… Pourquoi ? Pourquoi personne ne veut de mes petits pois comme monnaie d’échange ?”
Gros blanc. Le professeur le regarde fixement. Aucune réaction. Cela dure bien 20 secondes. Francis commence à se demander si le professeur n’est pas un gros taré.
Finalement, il explose de rire.
Cela dure une minute. Le professeur reprend ses esprits, essuie ses lunettes avec son bavoir, et lui dit d’un ton très paternaliste accompagné d’un accent belge qui surprend Francis :
“Petit, tu es venu ici car tu as faim de conseils. Et quand un homme a faim, plutôt que lui donner à manger, je préfère lui apprendre à pêcher. Comme ça, il mangera toute ta vie.”
Sur ces paroles d’une profondeur rare, le vieux sage se lève de son fauteuil moelleux. Il fouille dans ses boîtes à tartine, toutes classées par couleur dans son immense bibliothèque murale, et revient avec une petite perle qu’il tend à Francis.
“ Qu’est-ce que cette perle, Professeur ? demanda Francis d’un air innocent. – C’est une perle Aggri, aussi appelée perle de verre du Ghana, lui répondit le professeur, le sourire jusqu’aux oreilles. Un héritage de Pape Diouf, mon mentor et ami. Paix à son âme. Je vais te raconter leur histoire et tu comprendras mieux pourquoi personne ne veut de tes petits pois.”
“– Ces perles ont été utilisées comme monnaie pendant des siècles dans toute l’Afrique de l’Ouest, poursuivit le professeur. On ne connait pas très bien leur origine. Comme tes petits pois, elles étaient de petites tailles, très divisibles bien que non uniformes. Elles étaient souvent rassemblées dans des colliers ou bracelets d’ailleurs (vendabilité à différentes échelles). Autre point commun avec tes petits pois : leur légèreté. Elles étaient faciles à transporter (vendabilité dans l’espace). Mais la comparaison s’arrête là, Francis.”
“ – Ce qui manque à tes petits pois, c’est leur vendabilité dans le temps. Tes petits pois n’ont aucune valeur dans le temps car en plus d’être périssables, il est très facile d’en produire si la demande augmente. À l’inverse, ces perles de verre étaient très précieuses et recherchées dans cette région car la technologie de production verrière y était terriblement coûteuse. Elles avaient un ratio stock-à-flux très élevé, c’est-à-dire que les nouvelles productions de perles étaient très faibles relativement au stock existant déjà limité. La demande pour ces perles augmentait, mais la quantité de nouvelles perles produites restait peu ou proue la même, ce qui tirait mécaniquement le prix des perles à la hausse selon la loi de l’offre et de la demande. Cette rareté assurait une grande valeur à long terme pour quiconque détenait ces perles, ainsi qu’une excellente vendabilité. Les perles de verre étaient alors une monnaie dure…
– J’imagine qu’il y a un mais ?
– Tout à fait Francis. Tout cela fonctionnait parfaitement jusqu’au XVème siècle, époque où les Européens commencèrent leurs expéditions maritimes aux 4 coins du globe. Ils finirent rapidement par accoster en Afrique de l’Ouest. Ils s’aperçoivent très vite de l’opportunité, gigantesque. En Europe, l’industrie verrière se développe à une vitesse folle autour de plusieurs grands pôles : Venise, Amsterdam, Idar-Oberstein en Allemagne, en Bohème et en Moravie. La production de verre est si facile et bon marché qu’elle en devient une commodité.
– Laissez-moi deviner, Professeur. Après avoir découvert que cette région utilisait des perles de verre comme monnaie, les Européens sont revenus plein de perles de verres dans les coques de leurs bateaux au cours des prochains voyages ?
– Un point pour Gryffondor, Francis. Tu es très perspicace, on ne m’avait pas menti. Ils pouvaient produire pour trois fois rien des grandes quantités de perles de verre qui avaient une grande valeur dans cette autre région du globe. Ils ont acheté à bas prix, on pourrait même parler de pillage, les richesses de cette partie de l’Afrique pendant des années avec ces perles de verre. Lentement mais sûrement, le stock de perles de verre a commencé à augmenter en Afrique, transformant peu à peu ces perles en monnaie facile, les flux commençant à dépasser le stock.”
“Les conséquences furent désastreuses pour les détenteurs de ces perles, continue le Professeur Javier. C’est le fameux piège de la monnaie facile. En devenant une monnaie facile, les perles de verre ont perdu peu à peu toute leur valeur, causant la ruine de tous ses détenteurs et permettant le transfert de tout leur patrimoine et toutes leurs richesses vers l’Europe.
L’ultime conséquence face à cet appauvrissement lent et insidieux fut le désagrément du tissu social de ces régions. Ces populations, appauvries et divisées comme jamais, se sont retrouvées à la merci des Européens. Ainsi commença ce que l’on appelle aujourd’hui “la traite des noirs”. Plus tard, on renomma les perles Aggri les perles d’esclaves pour le rôle prépondérant qu’elles ont joué dans ce sombre moment de l’histoire de l’humanité.
– (…)”
Erf, Francis est sonné.
Ils vient de comprendre une belle leçon, le piège de la monnaie facile.
Lorsqu’une monnaie perd sa dureté, les détenteurs de cette monnaie se voient expropriés de leurs richesses au profit de ceux qui peuvent produire facilement cette monnaie.
Ça ne vous rappelle rien ?
On y arrive bientôt.
En attendant, on se retrouve demain pour une nouvelle histoire du professeur Javier, cette fois-ci sur les métaux monétaires comme l’or et l’argent.
Comme d’habitude, n’hésitez pas si vous avez des questions.
C’est ₿on ça,
Jean